Victoria (1819-1901) a tout juste 18 ans lorsqu’elle monte, le 20 juin 1837, sur le trône du Royaume-Uni. Lors de son couronnement, le 28 juin 1838, la jeune reine a le front ceint d’une riche couronne d’apparat fabriquée par les bijoutiers Rundell and Bridge, sur laquelle on peut observer le rubis du Prince noir.
Si durant les 63 années et 7 mois de son règne, on ne compte pas les apparitions publiques où la souveraine est parée de joyaux officiels, elle apprécie également de porter des bijoux plus modestes mais non moins chargés d’histoires.
Que se cache-t-il dans l’écrin de la reine Victoria, celle qui a donné son nom à une époque ? On vous emmène à la rencontre d’une icône qui a marqué l’histoire de l’Angleterre.
Le 10 Février 1840, dans la chapelle royale du Palais Saint James à Londres, Victoria a revêtu une robe en satin de soie blanche. C’est l’heure pour elle de s’unir à celui auquel elle était destinée, son cousin germain, Albert de Saxe-Cobourg-Gotha.
Pour l’occasion la reine porte à son cou et ses oreilles des diamants turcs tandis que son décolleté est ponctué par une broche ornée d’un saphir ovale dans un entourage de douze diamants. Ce bijou cher à son cœur lui a été offert la veille par son futur époux. (Fig.1).
Figure 1 : WINTERHALTER Franz Xaver,
La reine Victoria, Huile sur toile, 1847, Londres, Royal Collection Trust, RCIN 400885
Le 10 Mars 1864, lors du baptême d’Albert-Victor, son petit fils, ayant pour parents Albert-Edouard et Alexandra de Danemark dite « Alix », Victoria porte cette fameuse broche assortie d’une miniature de son cher et tendre (Fig. 2).
Figure 2 : DALTON Magdalena, Broche avec le portrait miniature du prince Albert, Or, diamants, verre, aquarelle miniature sur ivoire, 1840, Londres, Royal Collection Trust, RCIN 4628, / Commandé par la reine en 1840, ce bijou a été porté constamment par Victoria depuis son mariage jusqu’à sa mort en 1901.
Ce n’est pas la seule fois qu’Albert fera un cadeau aussi précieux à Victoria. L’année du mariage, il conçoit et fait fabriquer par Joseph Kitching une superbe couronne de saphirs et diamants que la souveraine porte sur un portrait officiel peint par Franz Xaver Winterhalter (1805-1873) en 1842. Ce joyau, l’un des plus importants aux yeux de Victoria, est la pièce maîtresse de sa collection de saphirs, sa gemme favorite.
Outre un bracelet orné de quatre énormes brillants dont deux ayant appartenu à Marie-Antoinette, un à sa cousine Charlotte et un autre à Marie Stuart, l’écrin officiel de la reine cache de fabuleux trésors à l’instar du Koh-i-Noor. Cette « montagne de lumière » est le plus gros diamant du monde. Découvert dans les mines indiennes de Kollur, à Golconde, il ornait autrefois le trône des empereurs moghols à Delhi avant d’être offert gracieusement en 1850 à Victoria par la Compagnie des Indes. Lors de l’inauguration de la première Exposition Universelle, la reine expose au Crystal Palace cette célèbre gemme aux yeux du grand public (Fig. 3) avant d’en sublimer sa chevelure lors d’un bal donné en son honneur au Château de Versailles en 1855.
Figure 3 : The Koh-i-Noor on display at the Great Exhibition, dans Illustrated London News, 31 May 1851.
Si la jeune souveraine reçoit de nombreux bijoux en cadeau, elle en fait également présents. Lors de son union avec Albert en février 1840, Victoria offre en cadeau à chacune de ses dames de compagnie, une bague composée de son portrait miniature peint à la main, entouré de turquoises taillées en cabochon. Une broche représentant un aigle pavé de la même gemme est également donnée par sa majesté à l’une de ses demoiselles d’honneur au cours de cet événement. La turquoise devient ainsi une des pierres fétiches de l’ère victorienne.
Le corail, l’ambre, le grenat et le saphir ainsi que les camées en lave du Vésuve sont les gemmes les plus recherchées de cette période. Dans Le boudoir Bleu, œuvre peinte en 1865 par l’artiste préraphaélite Dante Gabriel Rossetti (1828-1882), la jeune femme porte à son cou un pendentif pourvu de deux rubis et d’une émeraude. Si la couleur rouge symbolise l’amour et que le vert évoque la beauté de Vénus, la forme en cœur de ce bijou rappelle l’importance du langage amoureux en bijouterie.
Durant le règne de Victoria, celle-ci est en effet bercée par des influences romantiques, médiévales et naturalistes. On voit surgir dans les écrins de cette époque des bijoux acrostiches, à décors floraux, de baies, de raisins ou de nœuds pour symboliser les différents liens affectifs. On favorise également le motif du serpent sur le modèle de la bague de fiançailles qu’Albert a offert à Victoria.
Si la passion du couple royal s’exprime par de somptueux joyaux, elle se traduit aussi à travers des bijoux beaucoup plus sentimentaux et intimistes. Albert fait ainsi réaliser pour l’anniversaire de sa bien-aimée en 1845 plusieurs bracelets contenant les miniatures et les cheveux de leurs enfants.
Aux cheveux utilisés en bijouterie depuis la fin du XVIIe siècle s’ajoutent, sur les créations victoriennes, des matières organiques comme les dents. Victoria fait faire de nombreux bijoux avec les dents de lait de ses enfants. Perdue lors d’un voyage en Écosse, celle de son aînée, également nommée Victoria, est montée sur une broche en forme de chardon tandis que celles de sa benjamine, Béatrice, sont transformées en pendentif et boucles d’oreilles en forme de fuchsia.
Le 14 décembre 1861, les beaux yeux bleus d’Albert qui avaient charmé Victoria lors de leur première rencontre, se ferment à jamais. À la mort du prince consort, la reine éplorée se retire de la vie publique. Inconsolable, la souveraine décide de porter le deuil pendant le reste de sa vie. Si durant les quarante années restantes, elle ne se vêtit plus que de noir, son chagrin s’exprime aussi en bijouterie créant une véritable mode dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
L’écrin de l’impératrice des Indes et « grand-mère de l’Europe » regorge donc de nombreux bijoux de deuil réalisés en onyx, marcassite et jais. Cette variété de lignite fossile devient l’une des plus recherchées. On la trouve à Whitby, au nord de l’Angleterre tandis qu’en France, l’appellation « Jais de Paris » n’en est qu’une pâle imitation en verre coloré.
Dans l’écrin de Victoria les objets à la mémoire d’Albert s’accumulent. Aux petits médaillons à son effigie s’ajoute une broche en forme de cœur traversée par une croix contenant une mèche de cheveux honorant le souvenir de sa deuxième fille, la princesse Alice tragiquement décédée à l’âge de 35 ans.
Après la mort de son bien-aimé, Victoria ne veut plus s’encombrer de sa couronne officielle, devenue trop lourde à porter. Elle demande alors la réalisation d’un bijou d’apparat pouvant être porté au-dessus de sa casquette de veuve. C’est ainsi que les bijoutiers Garrard & Co fabriquent une petite couronne de 9 cm de diamètre en argent composée de 1187 diamants taille brillant et taille rose, surmontée de fleurs de lys et de croix pattées (Fig.4).
Figure 4 : BASSANO Alexander, Portrait photographique de la reine Victoria en 1882, dans WILLIAMSON David, The National Portrait Gallery History of the Kings and Queens of England, 2010, p. 153.
Si certains bijoux ayant appartenu à celle qui apporta à l’Angleterre puissance matérielle, épanouissement intellectuel et développement artistique sont passés aux enchères comme l’atteste la vente organisée par Sotheby’s en Mars 2021, d’autres sont aujourd’hui à découvrir au sein de la Jewel House de la Tour de Londres ainsi que dans les collections du Victoria & Albert museum.
Pour aller plus loin :
– GERE Charlotte et RUDOE Judy, Jewellery in the age of Queen Victoria, a mirror to the world, Londres, British Museum press, 2010
-HUGH Roberts, The Queen’s Diamonds, Londres, Royal Colletion Trust, 2012
-KEAY Anna, The Crown Jewels: The official illustrated History, Londres, Thames & Hudson, 2012
–Victoria and Albert: Art and Love, catalogue d’exposition sous la direction de MARSDEN Jonathan, Londres, Royal Collection Trust, 2010
Article rédigé par C.