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À chaque période son style :
Le bijou Art Nouveau

2021 marque la renaissance sur la place parisienne d’une des maisons phare de la fin du XIXe siècle : Vever.

Relancée aujourd’hui par la 7ème génération, l’entreprise familiale de joaillerie a été l’adresse en vue du Tout-Paris de la Belle Époque. Dirigée par Henri (1854-1942) et son frère Paul (1851-1915), grand prix lors des Expositions Universelles de 1889 et 1900, Vever a triomphé avec des pièces où s’exprimaient les splendeurs de la nature.

Si paysages miniatures, courbes ondoyantes, femmes-insectes et fleurs à la beauté venue d’ailleurs se sont invités dans les vitrines de bijoux du tournant du siècle, d’où viennent ces motifs ? Pourquoi inspirent-ils les artistes de cette époque ? Nous vous proposons un voyage dans le temps, à la découverte de cette courte mais foisonnante période qu’est l’Art Nouveau, à la rencontre de bijoutiers qui ont valorisé dans leurs créations tout un florilège symboliste et poétique.

À chaque période son style : Le bijou Art Nouveau

Figure 1 : ANONYME, Boucle de ceinture en or jaune à motifs floraux (anémones), vers 1900-1910, travail français, Amsterdam, Rijksmuseum, BK-1969-24.

Débutant son règne dans les années 1890 et se terminant à l’orée de la première guerre mondiale, ce mouvement répond à des réalités diverses. Bien qu’il connaisse des appellations multiples en Europe : Art Nouveau en France, Jugendstil en Allemagne, Sessession à Vienne et Modernismo à Barcelone, une variété de productions et une hétérogénéité des formes selon les pays, il est certain que les artistes se rassemblent autour d’une volonté commune, d’une nouvelle voie artistique : celle de rendre l’art accessible à tous.

En France le phénomène prend racine dans les concepts développés à partir des années 1860 par le courant britannique Arts & Crafts. L’artiste et sociologue William Morris (1834-1896) ainsi que le philosophe John Ruskin (1819-1900) réagissent contre l’industrialisation massive qui broie l’Angleterre. Ils prônent de ce fait un retour à l’artisanat et promeuvent les arts décoratifs. Ces derniers doivent puiser dans le modèle de la nature, les formes nouvelles de leur renaissance. Les idées qui émergent en Angleterre impactent la sphère internationale. En Belgique mais aussi en France, la nature se place comme un nouveau vecteur d’unification entre l’art et l’industrie. Une nouvelle grammaire ornementale touche alors tous les domaines de la création. Dans l’architecture, la décoration intérieure, le mobilier comme sur les bijoux, on favorise les courbes, on privilégie les arabesques et les enroulements qui évoquent des lianes mais aussi le mouvement, la vie.

Cette apothéose du végétal qui donne donc à voir des bijoux efflorescents puise aussi sa source en Asie. Dans les années 1866 l’Occident redécouvre les coutumes, les objets, les techniques et les savoir-faire du pays du Soleil Levant. L’ère Meiji (1868-1912) et sa nouvelle politique de modernisation du Japon favorisent en effet les échanges commerciaux et culturels avec l’Europe. Présentées aux différentes Expositions Universelles de 1862 et de 1867, les oeuvres japonaises suscitent l’intérêt des artistes anglais et français et vivifient leurs créations. Samuel Bing (1838-1905), collectionneur éclairé et fervent marchand d’art nippon, croit plus que tout en la symbiose de l’art japonais avec le règne animal et végétal comme source d’inspiration pour redonner à la création européenne qui s’essouffle un nouvel élan artistique. En décembre 1895, il transforme sa galerie orientale et inaugure La Maison de l’Art Nouveau1, définissant ainsi le nom de ce courant artistique. En ce lieu, situé 22 rue de Provence à Paris, s’exposent et se vendent des oeuvres d’art stimulées par la poésie nippone pour la faune et la flore (Fig.1).

À chaque période son style : Le bijou Art Nouveau

Figure 2 : GAILLARD Lucien, Peigne à cheveux à motifs de cosse d’érable, corne et argent, vers 1902-1906, Amsterdam, Rijksmuseum, BK-1989-7.

À chaque période son style : Le bijou Art Nouveau

Figure 3 : À gauche -LAFFITE Gaston, Pendentif Femme-papillon et émaux translucides dans La Revue de la Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie, 1 Janvier 1904, p. 114. À droite – FALGUIÈRES Gabriel, Broche Libellule, 1900 dans VEVER Henri, La bijouterie française au XIXe siècle, Tome III, Paris, H. Floury, 1906-1908, p. 615.

Sous l’impulsion de René Lalique (1860-1945), artiste porté au rang de génie national, le bijou va connaître sa synthèse la plus parfaite et s’élever en véritable oeuvre d’art. Alors que la joaillerie traditionnelle use encore de l’or, des perles fines et des pierres précieuses, Lalique expérimente pour sa part des matériaux peu usuels telle que l’écaille qu’il marie à l’expérimentation d’émaux dits plique à jour.

À ces vitraux miniatures s’ajoutent des gemmes d’élection comme l’opale, la perle baroque (Fig. 4) ou encore l’iridescence de la pierre de lune que des artistes comme Charles Boutet de Monvel ou Georges Le Turcq vont également valoriser sur des broches, pendentifs et plaques de cou.

Mais l’audace chez Lalique ne s’arrête pas là. Pourtant considéré comme une matière d’imitation, le verre, introduit dans ses créations à partir des années 1890-1895, se transforme en une matière sculpturale. Initiateur du bijou moderne, Lalique casse les codes et positionne le bijou comme un art total au même titre que la peinture, la sculpture ou l’architecture.

Pour lui, peu importe la valeur intrinsèque, il faut transcender les matières et leur donner toute leur puissance expressive. Lalique ouvre donc la voie à une nouvelle génération d’artistes. Parmi les grands noms de la vague Art Nouveau, citons Georges Fouquet, Alphonse Mucha, Henri Vever, Eugène Grasset et de manière plus confidentielle François Fleuret, Léopold Gautrait, Antoine Bricteux ou encore Joe Descomps. Autant d’artistes qui, portés par la simple dimension esthétique, proposent un bijou d’art pour l’art.

À chaque période son style : Le bijou Art Nouveau

Figure 4 : LALIQUE René, Broche Hippocampes. Or, émail, opales, perle baroque, vers 1902-1905, Richmond, Virginia Fine Art Museum, 73.46.1.

Pour aller plus loin

 

  • BECKER Vivienne, Bijoux Art Nouveau, Paris, Thames & Hudson, 2000
  • René Lalique, bijoux d’exception 1890-1912, catalogue d’exposition sous la direction de BRUNHAMMER Yvonne, Paris, Éditions Skira, 2007
  • Les origines de l’Art Nouveau, la maison Bing, catalogue d’exposition sous la direction de BECKER Edwin, POSSÉMÉ Évelyne et WEISBERG Gabriel, Paris, Éditions UCAD, 2004

1 Sujet d’une exposition L’Art Nouveau- La Maison Bing, du 17 mars au 23 Juillet 2006, Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts.

Article rédigé par C.

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