Êtes-vous superstitieux ? N’avez-vous jamais cherché avec ardeur dans l’herbe d’un parc, un trèfle à 4 feuilles ? N’avez-vous jamais fait un vœu devant l’envol d’une « bête à Bon dieu » ? 

Tant qu’existeront les dangers, les peurs, l’impuissance des hommes face à l’absolu et l’irrémédiable quête de bonheur, il existera des fétiches, des objets aux représentations magiques et gris-gris de toutes sortes pour s’en préserver.  

Qui dit croyances et superstitions, dit forcément amulettes et talismans. 

Découvrons ensemble ces parures protectrices qui ont traversé les époques.

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Figure 1 : Ensemble d’amulettes en forme de léopard bondissant en coquillage, poisson,  sceau en forme de renard en albâtre,  femme agenouillée et bélier en pierres dures, Mésopotamie (Uruk), vers 3300 -3000 avant JC, Londres, British Museum, 235471001© The Trustees of the British Museum

Les amulettes dans l’Antiquité

On a de tout temps cru aux pouvoirs des pierres précieuses et à leurs nombreuses vertus « prophylactiques » (qui prévient la maladie) et « apotropaïques » (qui conjure le mauvais sort). En Mésopotamie antique, de nombreuses fouilles archéologiques ont mis à jour de petits objets de 2-3 cm de large sur lesquels on peut observer des inscriptions et dessins incisés en intaille

Certains de ces sceaux-cylindres, de par le caractère précieux des matériaux employés et du symbolisme de la scène représentée, ont servi d’amulettes. Dans ce haut lieu de civilisation, entre le Tigre et l’Euphrate, on avait donc pour habitude, et par croyance, de porter sur soi, une prière faite à un dieu ou d’évoquer la protection d’une déité.

Parce qu’elles représentent une entité ou son image, les amulettes possèdent un pouvoir. Elles expriment l’intercession d’un dieu en faveur du porteur. Dans l’Égypte ancienne, elles sont nombreuses à protéger magiquement les vivants et à les accompagner également dans l’au-delà :

– L’œil « Oudjat » d’Horus

– Le pilier « Djeb », colonne vertébrale d’Osiris

– Le scarabée du dieu Khépri

– Le nœud d’Isis

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Figure 2 : Amulette « Tit », nœud d’Isis, Jaspe, Égypte, XVIIIe dynastie, vers 1550-1275 av. J.-C.., New-York, MET, 00.4.39

Des croyances qui se perpétuent : les amulettes au XIXe siècle

Au XIXe siècle, devant une société remplie d’angoisses, les croyances et les superstitions persistent. On se préserve alors en portant sur soi ce que l’on nomme un « contre-sort », une petite boîte circulaire en bois de buis de 5 cm de diamètre environ dont le couvercle décoré se visse. On y enferme de minuscules reliques et de petites bandes de papier où sont inscrites des invocations et des prières.

« Nulle ville au monde ne passe pour être aussi sceptique que Paris », nous dit Lionel Bonnemère en 1888 dans La revue des traditions populaires. Ainsi ce n’est pas sans surprise que l’on perçoit dans la vitrine des bijoutiers, de petits objets qui revêtent la forme d’amulettes. Si la dimension apotropaïque des bijoux continue de s’exprimer, certains n’hésitent pas à les acquérir seulement pour suivre la mode. 

À la fin du XIXe siècle, la tendance du cochon porte-veine semble persister. On orne son cou d’une canine de cet animal dont les origines gauloises le perçoivent comme expiateur et préservateur des maléfices et maladies mentales. La figa, également nommée mano fica, d’usage répandu dans l’Antiquité grecque et romaine, représente explicitement un rapport sexuel. La croyance qu’elle peut être utilisée pour chasser le mauvais œil ainsi que comme amulette de fertilité, est réelle. La main cornue quant à elle met à l’abri du malheur.

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Figure 3 : Amulette « Figa » en jais, Marseille, MuCEM, DMH1964.67.20

Croyances : le pouvoir des pierres

Chez les Romains et les Grecs, les amulettes comptent parmi les objets qui appartiennent à la sphère intime et privée. Nombreuses sont employées pour protéger les enfants et notamment se prémunir contre la mortalité infantile. Les branches de corail sont ainsi utilisées comme talisman pour préserver les nouveau-nés des convulsions, des cauchemars et des douleurs liées à la poussée des dents. 

Cette coutume traverse les siècles et est encore d’usage au XIXe. En plus des petites amulettes et médailles qui parent le bonnet de baptême de l’enfant, de fins colliers de corail sont passés à leur cou. On y adjoint parfois un collier d’ambre qui assure également le nourrisson contre la fièvre.

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Figure 4 : DELLA FRANCESCA Piero, Madonna di Senigallia (détail), peinture à l’huile sur panneau de bois, 61 x 53 cm, vers 1470-1485, travail italien (Urbino),Urbino, Galerie Nationale des Marches

Si les croyances sur le corail comme amulette protectrice se perpétuent au XVIIIe siècle avec le roi Ferdinand qui porte toujours sur lui un morceau de corail qu’il dirige vers toute personne susceptible de lui jeter un sort ; l’améthyste sert aussi à détourner les influences maléfiques.

En atteste l’anecdote du général romain Burrhus. Chargé de l’éducation du jeune Néron, il place chaque soir, une améthyste sous la tête de son élève afin de le protéger. Portant lui-même une bague en améthyste à son doigt, c’est le jour où il oublie de la mettre pour aller aux bains qu’il se fait assassiner.

L’opale a quant à elle mauvaise réputation. Si le Moyen-Âge fait d’elle la gemme des voleurs, le XIXe siècle continue de ternir son image. On lui attribue des morts irrationnelles comme celle de Lady Hermione dans le célèbre roman de Sir Walter Scott en 1829, Anne de Geierstein. 

La malédiction est renforcée par l’histoire d’Alphonse XII qui offre la gemme à sa femme puis sa belle-sœur. Toutes deux trépassent à la suite de ce cadeau maudit. En France, la superstitieuse Impératrice Eugénie se fait écho de la croyance qui accordait à l’opale, le mauvais œil et rend même responsable la grande opale de Hongrie de sa chute.

Une littérature prophylactique

Dans son Histoire Naturelle, l’auteur latin Pline l’Ancien pointe déjà les différents remèdes médicinaux que peuvent constituer les gemmes. Les vertus protectrices, prédictives, purificatrices et curatives dévoilées dans l’Antiquité trouvent par la suite une résonance au Moyen Âge avec le développement de la « lapidothérapie » (ancêtre de la lithothérapie). 

Les lapidaires de cette période rassemblent en effet de longues descriptions sur les vertus thérapeutiques et magiques des pierres. Marbode, évêque de Rennes au XIe siècle ou encore Hildegarde de Bingen (1098-1179) au siècle suivant, effectuent dans leur Liber Lapidum, l’inventaire de 24 pierres aux bienfaits curatifs.

 « Celui qui a des douleurs au cœur, dans l’estomac ou un point de côté doit porter une émeraude pour réchauffer son corps, et il s’en portera mieux. Mais si ses souffrances empirent tellement qu’il ne puisse plus s’en défendre, alors il faut qu’il prenne immédiatement l’émeraude dans la bouche, pour l’humidifier avec sa salive. »

Ces différents traités sur les gemmes démontrent comment la médecine alliée à diverses croyances et superstitions fît concocter aux hommes des placebos à base de pierres réduites en poudre pour pallier de nombreux maux. Selon certains, ingérer des matières aussi belles et inaltérables ne pouvait que renforcer le système immunitaire.

On croyait ainsi que l’émeraude guérissait les problèmes de visions et que l’améthyste prévenait de l’ivresse. Autant de propriétés thérapeutiques et de croyances populaires que le XIXe siècle continuent de faire perdurer. À cette période, la tradition des gemmes utilisées pour soigner plusieurs affections se pérénise. Le cristal de roche apaise ainsi les maux de tête tandis que la topaze arrête les hémorragies.

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Figure 5 : Couverture du livre Amulettes et talismans : la collection Lionel Bonnemère, Paris, Éditions de la RMN, 1991

Avant de clore cet interlude talismanique, nous ne pouvions pas ne pas aborder la très belle collection de l’amateur d’histoire et passionné d’archéologie et d’ethnographie, Lionel Bonnemère (1843-1905). Ce folkloriste, membre de la société des traditions populaires, consacra les vingt dernières années de sa vie entre 1885 et 1905 à collecter 1400 de ces fameux gris-gris, porte-bonheur et amulettes, témoins de croyances et superstitions. 

Léguée au musée des Arts et traditions populaires, aujourd’hui fermé, sa collection a rejoint celle du MuCEM à Marseille et illustre parfaitement les convictions et pratiques divinatoires de la France rurale du XIXe siècle.

Aujourd’hui les amulettes/porte-bonheur qui garantissent prospérité, chance et nous aide à lutter contre les difficultés attestent de la survivance de certaines croyances et superstitions et ne se comptent plus :

– Fer à cheval

– Coccinelle

– Trèfle

– Dé à coudre

 

Les bijoux et les gemmes que nous portons n’en restent pas moins doués de pouvoir et d’énergie parce que notre imaginaire leur en attribue. La force vitale que nous venons déposer sur ces petits objets résulte certes de traditions populaires, mais aussi parfois de croyances et transpositions plus personnelles.

Avez-vous des croyances et superstitions?

Pour aller plus loin sur les croyances et superstitions :

  • MARQUES-RIVIÈRE Jean, Amulettes, talismans, pentacles dans la tradition orientale et occidentale, Paris, Payot, 1972
  • BONNEMÈRE Lionel, Amulettes et talismans: la collection Lionel Bonnemère, Paris, Éditions RMN, 1991
  • GONTERO-LAUZE Valérie, Les pierres du Moyen-Âge, Paris, Les Belles Lettres, 2016
  • LECOUTEUX Claude, Dictionnaire des pierres magiques et médicinales au Moyen-Âge, Paris, Éditions Imago, 2011
  • COUPEAU Charline “La boîte de Pandore” dans La métaphysique du bijou, Rennes, PUR, 2022

Article rédigé par C.

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