Article de blog
Précieuses étoffes :
Quand les liens se nouent entre bijoux et couture
Le 7 janvier, s’est ouvert dans l’écrin précieux de la Galerie du Patrimoine, au n°20 de l’illustre place Vendôme, la toute dernière exposition temporaire proposée par la maison Van Cleef & Arpels. « Inspiration couture » met à l’honneur 42 pièces historiques qui ravivent le dialogue entre l’univers de la couture et celui de la joaillerie. Si l’occasion nous était donnée d’apprécier ces bijoux aux effets textiles jusqu’au 14 Juin 2022, nous vous proposons de notre côté de découvrir les liens créatifs qui se sont opérés entre les étoffes et les bijoux depuis les temps anciens.
Figure 1 : CLOUET François, Elisabeth d’Autriche, reine de France, Huile sur bois, 1571, Chantilly, musée Condé, PE 258 et Catherine de Médicis, et Portrait en pied de Catherine de Médicis, vers 1560, Florence, Palais Pitti, Galerie Palatine
À la Renaissance déjà, la fusion entre le vêtement et le bijou est palpable. La mode est aux broderies ornées de pierres précieuses. Aux brocarts de velours à motif d’or s’ajoutent des gorgerettes en tissu léger enrichi de « larmes de Vénus » tandis que le jaseran, vaste réseau de perles, constitue une précieuse cotte de maille (Fig.1). Au XVIe siècle, il est de tradition que les gemmes soient cousues directement sur le vêtement. Une coutume dont nous fait part le peintre italien Cesare Vecellio (1521-1601) dans son célèbre ouvrage de 1590 : De gli Habiti antichi et moderni di Diuerse Parti del Mondo
Figure 2 : POUGET Jean-Henri Prosper, planche de dessin, reproduite dans Traité des pierres précieuses et de la manière de les employer en parure. Paris, Libraire Centrale d’Art et d’Architecture, 1762, p. 48-49, ©BnF
Figure 3 : MASSIN Oscar, Dentelles en joaillerie exposée à l’Exposition Universelle de 1878, reproduit dans VEVER Henri, La bijouterie française au xixe siècle, Tome III, Paris, H. Fleury, 1906-1908, p. 481, ©BnF
Si le XVIIIe siècle valorise l’univers textile à travers des jeux de rubans et de nœuds empierrés comme en atteste le Traité des pierres précieuses et de la manière de les employer en parure de Jean-Henri-Prosper Pouget en 1762 (Fig.2), ces motifs se veulent également très en vogue sous le Second Empire dans les créations de la maison Mellerio et de la maison Bapst pour l’impératrice Eugénie.
Alors que la dentelle connaît un regain d’intérêt sur les éventails, ombrelles, robes et talma de l’époque, elle s’invite également en joaillerie. S’inspirant de la passementerie ancienne, Oscar Massin (1829-1913) reprend avec virtuosité les techniques issues du monde de la couture pour proposer, lors de l’Exposition Universelle de 1878 à Paris, des dentelles souples en diamants appliquées sur une tulle d’or (Fig.3).
Galons, ganses et rubans continuent de stimuler la créativité des maîtres joailliers des années 1940. L’or jaune se travaille en repercé ou en résille afin d’imiter les effets de la guipure et de la dentelle de Calais ou de Chantilly. Van Cleef & Arpels excelle dans ce mimétisme textile à travers sa grande broche tulle de 1942 et son clip nœud dentelle en or jaune et diamants de 1945.
Au sein de cette grande maison de joaillerie, on porte également de l’attention à la reproduction des drapés et des tissages. En 1942, on tresse en jersey le précieux métal tandis qu’en 1951 on emprunte ses inspirations au sergé. Avec le modèle de bracelet ruban Ludo, on donne au bijou l’aspect souple et mouvant de l’étoffe. Avec le collier Cheveux d’ange de 1958, on va même jusqu’à imiter un classique de la garde-robe : le fameux col claudine.
Figure 4 : VAN CLEEF & ARPELS, Grande broche en « tulle » d’or jaue et platine rehaussée de diamants taille brillants, vers 1942, Collection privée, vendue chez Aguttes en mars 2017, lot 117©Aguttes
Avec Quelques années plus tard, c’est au tour de la designer italienne Elsa Peretti (1940-2021) de corréler dans ses créations, bijoux et vêtements. Inspirée par ses voyages en Inde, elle propose vers l’automne 1975 la collection Mesh, d’une fluidité et d’une ergonomie de haute volée. Soutien-gorge et écharpe nécessitent l’utilisation de plus de 43 000 mailles d’or, montées à la main, pour épouser, avec une maîtrise parfaite, les courbes du corps.
L’étoffe se tisse donc dans le métal et les joailliers du XXe siècle continuent de jouer avec les effets de textiles. Buccellati, maison de haute joaillerie fondée en 1919 à Milan, renoue avec d’ancestrales techniques de gravure et de ciselure :
- Le rigato donne au bijou les allures de la soie
- Le telato rend hommage aux plis du lin
- L’ornato évoque avec élégance l’art de la dentelle.
Si la guipure est honorée dans la collection Dior Dior Dior en 2018, la Maison Chanel fait également sa dédicace au tissu. Pour sa collection de haute joaillerie de 2020, elle décline avec raffinement et dextérité le complexe lainage écossais que Gabrielle a découvert dans les années 1920 lors de sa liaison avec le duc de Westminster. Apanage de la gent masculine, féminisé par la couturière avec la création de ses légendaires tailleurs, le tweed, tissu iconique et signature stylistique de la maison Chanel est texturé avec brio à travers l’emploi de l’or, des pierres précieuses et de l’émail.
Aujourd’hui, grâce à la virtuosité et au savoir-faire technique de créateurs comme Sarah Bran, dentellière sur or, la symbiose entre ces deux arts d’exception que sont la couture et la joaillerie n’en finit plus d’être tissée. Si certaines étoffes prennent donc vie dans l’éclat du précieux métal solaire parfois enrichi de pierreries, il n’est pas rare que la fusion soit encore plus complète et que le bijou remplace entièrement le vêtement sur le corps. N’est-ce pas le cas de la robe cage bijou visible sur le catwalk printemps-été 2022 de l’époustouflante maison de haute couture Schiaparelli ?
Pour aller plus loin
- Van Cleff & Arpels : l’art de la haute joaillerie, catalogue d’exposition sous la direction de POSSÉMÉ Evelyne, DE JOUVENEL Anne et LACQUEMANT Karine, Paris, Les Arts décoratifs UCAD, 2012
- BLANC Emeline, Comment les bijoux ont remplacé les vêtements chez Schiaparelli, Vogue Magazine, 24 Janvier 2022 – https://www.vogue.fr/joaillerie/article/comment-les-bijoux-ont-remplace-les-vetements-chez-schiaparelli-couture
- COUPEAU Charline, La métaphysique du bijou: objet d’histoires, parure du corps et matériau de l’oeuvre d’art au XIXe siècle, Rennes, PUR, 2022
Article rédigé par C.