Aux volutes et courbes sinueuses de l’Art Nouveau s’opposent les lignes géométriques des années Art Déco d’après-guerre. Marquées par l’euphorie et l’envie d’oublier le sang, la boue et l’horreur des tranchées, les années 1920 se dessinent comme un nouveau temps d’insouciance. Mouvement artistique typique de cette période, l’Art Déco, dont le terme n’apparaît qu’en 1966 lors d’une exposition rétrospective orchestrée par le musée des Arts décoratifs de Paris, puise ses inspirations et ses sources dans les profonds changements de mentalités, de goûts et de modes qui s’opèrent alors.

Mais quelles sont les caractéristiques propres aux bijoux Art Déco ? Nous vous proposons un nouveau voyage au cœur des années folles à la rencontre de créateurs qui ont su allier avec virtuosité ordre, géométrie et couleurs.

En quête de jours meilleurs, l’entre-deux guerre croit au progrès et à l’industrie. L’heure est donc à la modernité. Au sein de la sphère artistique, celle-ci s’exprime dans l’architecture et le design d’intérieur, les arts décoratifs et l’univers de la mode. Autant de domaines qui s’invitent au sein des somptueuses vitrines de l’exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes.

Cet événement, attendu depuis 1906 par la société des artistes décorateurs et repoussé à plusieurs reprises en 1916, 1922 puis 1924, a finalement lieu à Paris en 1925. Cette grande rencontre qui regroupe pas moins de 21 pays, pour la plupart européens, prône la présentation d’œuvres résolument et exclusivement modernes. Il convient aux artistes de proposer des ouvrages originaux, sans imitation d’anciens styles, où s’expriment un nouveau souffle, un vent de liberté.

Si cette manifestation n’est qu’une luxueuse parade qui répond peu aux attentes et aux aspirations de la société, elle fonde toutefois de façon officielle la recherche d’une nouvelle esthétique où s’exprime un renouvellement des formes. L’Art Déco est une dynamique qui impacte le monde précieux des bijoux. Présentée au Grand Palais, dans un décor merveilleusement pensé par Eric Bagge (1890-1978), la Classe XXIV bijouterie-joaillerie présidée par M. Fouquet propose des créations en accord avec les toilettes actuelles.

Art déco

Figure 1 : DOMERGUE Jean-Gabriel (1889-1962), Affiche pour la maison Berlioz Leroy, joailliers installés 19 rue de la Paix à Paris, 1923.

La révolution de l’Art Déco :

Tandis que Paul Poiret (1879-1944) abolit le corset, avec Madeleine Vionnet (1876-1975) et Gabrielle Chanel (1883-1971), les jupes se raccourcissent et deviennent tubulaires, les cheveux, eux, se portent à la garçonne. Cette coupe courte inspirée par Monique Lerbier, l’héroïne du roman de Victor Margueritte (1866-1942) de 1922, favorise le port de longs pendants d’oreilles. On ajuste également sa tenue avec des colliers de type sautoirs, des épingles de jabot et des clips (Fig.1).

Les années 1925 donnent à voir un nouveau type de femme. Une femme émancipée à la silhouette androgyne qui conduit, fume et se remaquille en public. De nouveaux accessoires font ainsi leur apparition comme l’étui à cigarettes et le nécessaire de beauté (Fig. 2), également appelé vanity case. Ce dernier contient tout ce qu’il faut pour raviver le teint, le regard et la bouche : un poudrier, un rouge à lèvres, un miroir et parfois même un petit peigne.

Art déco Mauboussin

Figure 2 : MAUBOUSSIN, Dessin d’un modèle de Nécessaire avec boîte à poudre, tube à rouge et glace. Or émaillé noir et vert, diamants et nacre, dans MAUBOUSSIN, Le bijou Moderne, album publicitaire, Paris, Imprimerie Tolmer, 1925.

Influencés par les mouvements d’avant-gardes, les créateurs s’inspirent des audacieuses formes géométriques du cubisme et des couleurs tranchées du fauvisme. Le bijou de cette époque doit trouver sa modernité dans la simplification de l’ornement et la variété des coloris. Flirtant avec la sculpture et l’architecture des gratte-ciel new-yorkais, la bijouterie Art Déco favorise la synthétisation et la stylisation des motifs. Les compositions épurées, les lignes nettes, les arêtes vives et les surfaces lisses célèbrent l’ère de la vitesse (Fig.3).

Les motifs Art Déco valorisent l’industrie et l’univers de la mécanique. Hélices d’avion, pas de vis, boulons, écrous, roues dentées engrenages de machines s’invitent dans les « bijoux moteurs » de Jean Després (1889-1980). La taille des gemmes est également marquée par cet élan géométrique et cet essor des lignes pures. On privilégie les pierres calibrées, les tailles émeraudes, trapèzes ou triangles ainsi que les diamants baguettes dont l’éclat se veut plus léger et subtil que la taille ronde.

Au vocabulaire iconographique industriel s’ajoutent l’emploi de motifs architecturés et l’évocation du sport, dont le tennis porté dans ces années-là par la célèbre joueuse Suzanne Lenglen (1899-1938). Alors que l’orchidée est la fleur par excellence des années 1900, 1925 donne sa préséance à la rose. Cette végétation des plus stylisée est complétée par la présence d’animaux exotiques à l’instar de la panthère, symbole par excellence de la figure féminine des Années folles.

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Figure 3 : TEMPLIER Raymond, Bracelet. Argent, platine et or, onyx et diamants, vers 1925-1930, Richmond, Virginia Fine Art museum, 85.257a-b, Gift of Sydney and Frances Lewis- le motif central de ce bijou peut également se porter en broche.

Bercée par l’exotisme des Ballets Russes de Serge Diaghilev (1872-1929), la création occidentale se tourne dès 1909 vers l’Orient.  Si l’industrie et le modernisme sont au cœur des préoccupations, la société des années 1925 s’ouvre aux cultures anciennes et extra-européennes.

La découverte en novembre 1922 par l’archéologue Howard Carter (1874-1939) de la tombe de Toutankhamon, pharaon de la XVIIIe dynastie, permet aux joailliers des références à l’Égypte antique. Aux motifs de fleurs de lotus, palmiers, sphinx ou scarabées s’adjoignent des références à l’Inde avec l’emploi de pierres non plus facettées mais gravées issues d’anciens trésors moghols, au Japon avec des représentations de paysages et de pagodes ainsi qu’à la Chine avec l’utilisation du Jade.

 

art deco cartier

Figure 4 : CARTIER Louis, Pendentif. Jade, onyx, perles, rubis, émeraudes, saphirs, diamants, argent, 1921, Richmond, Virginia Fine Art museum, 85.234

De ces contrées lointaines proviennent en effet des matières qui par leur opacité offrent des contrastes inédits. On emprunte les teintes vives et franches du corail, de l’ébène, de l’onyx, de l’ivoire, du lapis-lazuli et de la turquoise qu’on marie à l’éclat des diamants. Pour l’Art Déco, ces accords chromatiques ne se font pas sans l’utilisation du rubis, de l’émeraude et du saphir qui participent également à la réalisation de compositions colorées (Fig.4).

Toutes ces gemmes contrastent intensément avec les métaux blancs comme le platine, l’or gris, l’acier ou encore l’argent que l’on valorise en jouant sur leur matité et leur brillance. Chez certains créateurs, comme chez Jean Fouquet (1899-1984), on favorise la clarté de l’aigue marine. Tel est le cas d’un collier doté d’une spectaculaire pierre rectangulaire de 90 carats rehaussée d’or jaune, d’argent et de laque. Vendue aux enchères chez Christie’s, le 7 Juillet 2021 pour 980 000 $, cette pièce exceptionnelle incarne avec brio l’esprit de l’Art déco.

Chez Suzanne Belperron (1900-1983) pour Boivin, l’or jaune s’efface au profit du cristal de roche dont elle joue de la transparence tandis qu’on remet à l’honneur chez d’autres créateurs le travail de l’émail cloisonné.

À travers des associations des plus surprenantes, bijoutiers et joailliers Art déco à l’instar de Raymond Templier (1891-1968), Gérard Sandoz (1902-1995), Jean Dunand (1877-1942), et des maisons comme Cartier, Boucheron, Van Cleef & Arpels, Chaumet, Dusausoy ou encore Lacloche donnent à voir des parures hautes en couleurs en opposition de tons, de matières et de valeurs qui continuent de fasciner encore aujourd’hui le marché de l’art.

Pour aller plus loin :

  • RAULET Sylvie, Bijoux Art déco, Paris, Éditions du Regard, 1991
  • MOUILLEFARINE Laurence, Bijoux Art déco et avant-garde, catalogue d’exposition sous la direction de BRUNHAMMER Yvonne, Paris, Éditions Norma, 2009
  • Jean Després, bijoutier et orfèvre entre Art déco et modernité, catalogue d’exposition sous la direction de GABARDI Mélissa, Paris, Coédition Éditions Norma/Les Arts Décoratifs, 2009

Article rédigé par C.

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