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Voyage en Orient :
les bijoux dans l’art islamique

Si l’exposition L’Asie Rêvée, présentée par la Fondation Baur à Genève avait déjà établi en 2015 un dialogue entre «curios» asiatiques et œuvres d’arts graphiques européens, c’est aujourd’hui au tour du musée des Arts décoratifs de Paris de mettre en regard les chefs d’œuvres de l’art islamique avec les créations d’une des plus grandes maisons de joaillerie française : Cartier.

Quelles influences eurent véritablement les arts de l’islam sur les bijoux ? On vous emmène avec nous dans un voyage oriental inspiré et inspirant.

Voyage en Orient

Figure 1 : BAKST Léon, Décor de scène pour le ballet « Shéhérazade », aquarelle et graphite, 1910, création pour les Ballets Russes de Serge Diaghilev à l’Opéra de Paris le 4 juin 1910 sur une musique de Nikolaï Rimski-Korsakov (1888), chorégraphie de Michel Fokine avec Vaslav Nijinski et Ida Rubinstein, San Antonio, McNay Art Museum, TL 1998.81, © Cadeau de Robert L. B. Tobin.

En 1910, Shéhérazade prend vie sur la scène de l’Opéra Garnier, alors que les décors et costumes colorés de Léon Bakst (1866-1924), pour les Ballets Russes, affolent la sphère artistique.

Alors qu’en 1911 le couturier Paul Poiret (1879-1944), surnommé le Pacha de Paris, « persanise » la capitale avec son bal costumé aux allures de « 1002ème nuit », la maison Cartier, elle, rencontre l’Orient.

C’est en effet l’histoire d’un échange culturel et commercial mais surtout et avant tout l’histoire d’une passion profonde pour les contrées lointaines qui animent en ce temps-là Louis (1875-1942), Pierre (1878-1964) et Jacques (1884-1945).

Si le cadet, à la tête de la branche londonienne à partir de 1906, part voyager en Inde et dans le Golfe Persique à la rencontre des marchands de pierres et de perles, renforçant les commandes qui seront faites plus tard à la maison par les grands maharajahs, Louis, curieux et érudit, profite de l’intérêt croissant pour les arts de l’islam pour acquérir ses premières œuvres.

Car si Louis est directeur de la boutique parisienne du 13 rue de la Paix, il est aussi un fervent collectionneur. Alors que l’art islamique fait l’objet de nombreuses expositions en ce tout début du XXe siècle1, c’est véritablement la rétrospective de Munich en 1910 qui marque les débuts de l’amour de Louis pour le sujet.

Il complète ainsi sa bibliothèque d’étude, ressource précieuse héritée de son grand-père, Louis-François (1819-1904). Bibliophile dans l’âme, Louis rassemble des ouvrages sur l’architecture et les ornements islamiques (Fig.2), auxquels s’ajoutent des livres persans et indiens des XVIe et XVIIe siècles.

Figure 2 : JONES Owen, The grammar of Ornament,

Figure 2 : JONES Owen, The grammar of Ornament, London, Bernard Quaritch, 15 Piccadilly, 1868, planche 35 – ornements arabes n°5, p.137.

Figure 3 : « Reliure Persane »

Figure 3 : « Reliure Persane » dans BEAUMONT Adalbert et COLLINOT Eugène, Encyclopédie des arts décoratifs de l’Orient, ornements arabes, persans et turcs, : recueil de dessins pour l’art et l’industrie, Paris, Canson, 1883.

Au-delà de son simple goût pour l’islam, Louis comprend rapidement que les petits objets précieux de sa collection : plumiers, coupes, armes, pièces en ivoire et manuscrits orientaux peuvent stimuler la création joaillière de son époque. Il met alors les ouvrages de sa riche bibliothèque à disposition de ses collaborateurs.

Charles Jacqueau (1885-1968), dessinateur rentré chez Cartier en 1909, puise ainsi dans la grammaire décorative orientale pour renouveler son répertoire de formes et de couleurs.

Inspiré par les médaillons et fleurons de reliures (Fig.3), par les merlons de mosquées ou encore par les revêtements de céramiques en tigrures, ocelles ou écailles, Cartier aidé par la main inventive de Jacqueau, dont les dessins sont aujourd’hui conservés au musée des Beaux-Arts de Paris, réinterprète l’orient à travers une palette aux accords chromatiques saturés par les turquoises d’Iran et le lapis-lazuli d’Afghanistan.

Si la démarche artistique mise en place par Louis Cartier lui permet de donner un nouveau souffle à ses créations, le joaillier ne s’arrête pas là.

En plus d’emprunter son vocabulaire de formes aux motifs caractéristiques de l’empire moghol, des arts de la Perse et du monde arabe, il remploie des fragments de bijoux, de pierres gravées et de céramiques en provenance du Moyen-Orient. Louis déstructure ainsi les bijoux traditionnels anciens ramenés par son frère Jacques de ses séjours en Inde et recompose avec des pièces contemporaines (Fig. 4).

Dans cette dynamique créative, une nouvelle esthétique s’affirme permettant alors à la maison Cartier d’inscrire son style dans la modernité. Un univers à découvrir jusqu’au 20 Février 2022.

Figure 4 : Centre d’un bracelet appelé en perse « Bazuband »

Figure 4 : Centre d’un bracelet appelé en perse « Bazuband » recomposé en broche par la maison Cartier, Or, rubis, émeraudes, et leuco saphirs (XVIIIe siècle-XIXe siècle, Nord de l’Inde), rajout de perles, diamants et onyx vers 1920, New York, Metropolitan museum of Art, 41.100.118, © Cadeau de George Blumenthal, 1941.

Pour aller plus loin

 

  • Cartier et les arts de l’Islam. Aux sources de la modernité, catalogue d’exposition sous la direction de POSSÉMÉ Evelyne, HENON-RAYAUD Judith, SCHLEUNING Sarah et ECKER Heather, Paris, Éditions MAD, 2021.
  • L’Asie rêvée dans les collections Baur et Cartier, catalogue d’exposition sous la direction de NIKLES VAN OSSELT Estelle, LEPEU Pascale, SONG Haiyang, Milan, Éditions 5 Continents, 2015.
  • Cartier : le style et l’histoire, catalogue d’exposition sous la direction de DALON Laure, Paris, Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 2013.

1 Une première exposition dirigée par Gaston Migeon est consacrée aux arts musulmans au musée des arts décoratifs de Paris en 1903. Deux ans plus tard, c’est au Louvre que l’on peut découvrir une salle entière dédiée aux arts islamiques. En 1907, le musée des arts décoratifs propose à nouveau une exposition présentant des miniatures et tissus orientaux.

Article rédigé par C.

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