Alors que chante la fantaisie poétique du printemps, nous vous ouvrons ce mois-ci les portes de notre jardin joaillier. 

Comment la flore prend-elle vie en bijouterie et joaillerie ? Comment célèbre-t-on le « primus tempus » ? 

Partons ensemble à la rencontre d’une nature renaissante qui a depuis les temps anciens et dans toutes les cultures inspirée les créateurs de bijoux. 

Avant d’aller cueillir de précieux bouquets et de découvrir l’abécédaire floral des joailliers d’hier et d’aujourd’hui, il convient de rappeler l’engouement certain qui s’opère pour l’étude de la nature en corrélation avec l’art. À l’heure où l’écologie est un sujet qui préoccupe la société, la sphère muséale s’est emparée du thème. 

Ainsi avec Nature by Design : botanical expressions, le Cooper Hewitt museum de New York avait mis à l’honneur l’interprétation des formes botaniques dans les arts décoratifs de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, valorisant entre autres le travail du joaillier américain Tiffany (Fig.1). En 2019 déjà, l’exposition temporaire Dess(e)in de nature proposée par la maison Chaumet avait régalé les yeux des amateurs de bijoux et d’horticulture. 

Deux ans plus tard, l’événement immersif Florae mettait en regard les créations florales de la maison Van Cleef & Arpels avec les vibrantes photographies de l’artiste japonaise Mika Ninagawa. La balade onirique pour le végétal s’est poursuivie l’année dernière avec l’exposition créée par la maison Chaumet et les Beaux-Arts de Paris.

printemps

Figure 1 : TIFFANY & CO, Broche en forme de pensée. Or, émail, diamant, vers 1889-1890, New York, Cooper Hewitt museum, 1979-16-4 – œuvre présentée lors de l’exposition en 2022 « Nature by Design : Botanical Expressions ».

L’herbier antique

La flore est un sujet sans frontières puisque de tout temps, elle a su inspirer les créateurs de bijoux. Le monde des fleurs et des plantes est largement utilisé dans la civilisation minoenne dès la période dite pré-palatiale (3100-2200 avt J.-C.). Les découvertes archéologiques effectuées dans le cimetière de Mochlos et sur le site antique de Malia montrent que le thème éclot dans une bijouterie décorative et raffinée (Fig.2).

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Figure 2 : Groupe de 8 ornements en or, Civilisation minoenne, vers 2300-2100 avant J.-C., New York, MET, 26.31.427 

Dans la Grèce hellénistique (323-31 avt J.-C.), couronnes et diadèmes se parent d’une végétation symbolique en rapport avec les divinités : feuilles de chêne (Zeus), de myrte (Aphrodite), de lierre (Dionysos) ou encore branches d’olivier (Athéna). L’ensemble des bijoux présente ainsi une nature réelle et stylisée, complétée par des feuilles d’acanthe et des palmettes aux accents plus décoratifs. 

En Égypte antique, lotus et papyrus intègrent rapidement la composition des bijoux et des amulettes. Ces motifs végétaux caractéristiques de cette civilisation sont par la suite réemployés dans les créations de la première moitié du XXe siècle alors que l’Égyptomanie est en pleine effervescence. La découverte de la tombe de Toutankhamon en 1922 par le britannique Howard Carter (1874-1939) remet en effet l’Égypte à l’honneur sur les bijoux des grands joailliers comme Cartier, Van Cleef & Arpels ou encore Lacloche.

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Figure 3 : POUGET Jean-Henri Prosper, Traité des pierres précieuses et de la manière de les employer en parure, 1762, Paris, BnF, p.79

Leçon de botanique 

L’invention du microscope au tout début du XVIIe siècle pousse les scientifiques de cette époque à l’étude du monde végétal. La botanique prend alors de l’essor et s’institutionnalise en devenant au siècle suivant une véritable discipline. La leçon de jardinage continue donc au XVIIIe siècle où l’univers floral est très apprécié de la reine Marie-Antoinette. 

La thématique naturaliste éclot auprès des orfèvres-joailliers (Fig.3) et des bijoux dits « Giardinetti » (petits jardins) en forme de gerbes de fleurs ou paniers fleuris trouvent la faveur des élégantes de cette période. Au début du XIXe siècle, l’impératrice Joséphine ne cache pas sa passion pour la beauté des fleurs. Si elle s’emploie à collectionner toutes les espèces connues de plantes, les commandes affluent également auprès du joaillier Marie-Etienne Nitot (1750-1809). 

En 1807, celui-ci réalise à sa demande une parure d’hortensias, en hommage au prénom de sa fille, la future reine Hortense. La nature s’invite également dans les créations du Second Empire. Inspirée par l’éloquente figure de Marie-Antoinette, l’impératrice Eugénie remet au goût du jour la mode des fleurs. Fraîches, artificielles ou métallisées, elles ornent les robes, les chevelures et les bijoux (Fig.4).

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Figure 4 : MASSIN Oscar, Branche d’Églantier, prototype d’un modèle devenu classique 1863 dans VEVER Henri, La bijouterie française au XIXe siècle, Tome II, Paris, H. Floury, 1906-1908, p. 227

À la fin du XIXe siècle, les artistes nancéiens comme Emile Gallé (1846-1904) se passionnent pour la botanique et l’horticulture. Fortement influencés par le japonisme et notamment par les objets d’arts japonais présentés aux différentes expositions universelles, ils empruntent au pays du soleil levant son iconographie florale. 

L’ouvrage Orchids and how to grow them in India and other tropical climates (1875) trouvé dans la bibliothèque du studio de création de la société américaine Tiffany & Co a sûrement servi de référence pour la conception de plusieurs bijoux, dont une broche orchidée présentée lors de l’exposition universelle de 1889 à Paris. 

– Iris

– Cattleya

– Chrysanthème

Ces espèces exotiques intègrent donc le vocabulaire des créateurs Art nouveau (Fig.5) mais aussi dans les années 1920, celui des grandes maisons de joaillerie, encore bercées par des horizons lointains.

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Figure 5 : TIFFANY AND CO, Broche Orchidée. Or, émail, diamant, vers 1889 – bijou présenté lors de l’exposition universelle de 1889 à Paris, New York, Cooper Hewitt museum, 1979-16-2 

Floralies contemporaines

Si les fleurs investissent la joaillerie stylisée des années 1940-1950 (Fig.6), elle est aujourd’hui toujours un véritable poncif de la création joaillière. Ainsi, chaque maison réinterprète avec sa sensibilité et sa virtuosité technique le thème naturaliste. Alors que Victoire de Castellane avait déjà valorisé une flore sauvage et carnivore dans sa collection de 2008 Milly Carnivora, elle rend hommage en 2021 avec Rose Dior à la fleur préférée du célèbre couturier. Boucheron, le joaillier du n°26 Place Vendôme immortalise quant à lui l’éphémère beauté de la Nature Triomphante : des fleurs naturelles ont été stabilisées pour en faire des fleurs d’éternité.

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Figure 6 : VANZETTA, Broche à motifs de 3 fleurs. Or rose, calcédoine bleue, rubis, perles, diamants, La Haye, vers 1945-1953, Amsterdam, Rijksmuseum, BK-2012-2-202

Pour aller plus loin :

  • POSSEME Evelyne et MAURIES Patrick, Flore, Paris, Les Arts décoratifs, 2016
  • CAPPELLIERI Alba, Van Cleef & Arpels : temps, nature, amour, Skira, 2020
  • Florae, catalogue d’exposition, Paris, Beaux-Arts Éditions, 2021

Article rédigé par C.

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